MAJ du 18 octobre 2011 : Rajouts importants à la dernière version en date.
MAJ du 5 décembre 2010 : N'étant pas particulièrement content de la première version, voici une nouvelle version de l'article sur les adulescents.
L'adulescence à l'épreuve de la psychanalyse
Faisons une petite pause après un article un peu compliqué. Afin de revenir à un thème plus simple et plus actuel, je vous propose de vous parler des « adulescents » dont on peut entendre parler dans les médias grand public. Ce concept me semble suffisamment irritant pour qu'il soit intéressant de mieux en comprendre les limites.
Qui sont les adulescents ? Si l'on en croit les médias grand public, il s'agit de jeunes gens qui consacrant la majeure partie de leurs loisirs, voire de leur vie, à la « culture geek » en général, sont incapables de « rentrer dans l'âge adulte » ou encore de « sortir de leur bulle » ou autre expression du même genre. Si l'on en croit Wikipedia, selon le psychanalyste Tony Anatrella, il s'agit du prolongement de l'adolescence en dépit de l'entrée dans l'âge adulte. On peut trouver d'autres définitions mais elles tournent toutes autour de cette idée d'immaturité, souvent en lien avec « l'univers des jeux vidéos ». Ces définitions sont tellement larges et floues qu'on se sent tout de suite happé par le doute : ce concept est-il bien pertinent ? Je vais donc tenter de vous montrer que les concepts de maturité et d'immaturité sont ici galvaudées, et que les expressions d'immaturité, si elles sont plus médiatisées dans certains milieux que dans d'autres, se manifestent bien au-delà de « l'univers des jeux vidéos ».
Maturité psychique et position sociale
Pour bien comprendre notre propos, il faut, d'une part, insister sur le fait que nous parlons ici de l'adolescence (mais aussi de l'enfance et du reste) en tant qu'organisation psychique privilégie et non en tant que position sociale. D'autre part, il faut entendre qu'en psychanalyse, tous les âges de la vie restent actifs toute la vie. Pour faire simple, le bébé, l'enfant, l'adolescent sont toujours présents dans l'adulte, même s'ils ne sont plus dominants. Pour illustrer cela, on voit bien le plaisir que certains adultes peuvent avoir à se comporter de temps en temps plus ou moins directement comme des enfants (jouer avec la nourriture, faire les idiots entre amis, écouter des contes de fées, etc.). L'adolescence survit de la même façon à l'âge adulte, mais cela semble plus difficile à digérer. Peut-être est-ce du au fait que le refoulement entre les deux âges est moins efficace ? Pour la psychanalyse, c'est la souplesse psychique qui permet à l'individu de ne pas trop souffrir. Sans former de jugement de valeur, elle considère qu'il serait tout aussi dommage d'être totalement coincé dans le monde de l'enfance que dans le monde adulte. Il est plus profitable d'être en mesure de piocher dans l'un et dans l'autre en fonction des moments.
Passer de l'enfance à l'adolescence, de l'adolescence à l'âge adulte, et de l'âge adulte à la vieillesse, peuvent peut être considérés comme des expériences de la perte. Alors que nous avions établis des repères confortables avec le monde, nous voilà à devoir tout réinventer ou presque. L'entrée dans le monde adulte, aussi relatif que cela soit, s'accompagne idéalement d'un renoncement serein à une croyance dans des positions parentales toute-puissantes, et à une identification à ces nouvelles figures. Dans notre optique, l'adolescence est cette partie de nous qui ne cesse, et ne cessera probablement jamais, de sortir de l'enfance et de rentrer dans l'âge adulte. En passant d'un environnement social ou psychique à un autre, il est donc normal d'expérimenter une certaine anxiété due à cette expérience de la perte. La psyché nous offre le plus souvent une porte de secours assez pratique : le refoulement. Une fois que l'on est passé à autre chose, on oublie globalement ce qui a précédé. Ce qui explique beaucoup de conflits générationnels, soit dit en passant. D'un point de vue psychanalytique, on pourrait considérer pathologique le fait de s'adapter trop rapidement ou trop lentement à ces changements. En psychanalyse le normal, si tant est que cette notion y soit pertinente, se trouve toujours dans le gris et ses nuances, le trop et le pas assez sont des signes de déséquilibre qui mènent ou signalent généralement une souffrance du sujet. Si chacun va à son rythme et à sa manière, une chose est sûre : pour supporter le changement on a tendance à maintenir des activités « repères » d'une époque passée où on se sentait bien, jusqu'à ce que l'on se sente suffisamment bien dans la nouvelle époque pour lâcher ces repères. D'un point de vue subjectif, c'est souvent vécu comme une question de lassitude ou de désintérêt. Parfois cela se fait en quelques années, parfois cela ne se fait jamais.
Approche, contenu et généralisation
C'est ainsi que nous pouvons mettre en question le concept même d'adulescent. Cette idée de génie, n'ayons pas peur des mots, se base sur le fait que certains adultes maintiennent des activités considérées en tant que telles, par ces autoproclamés experts en savoir vivre, comme n'ayant pas leur place après la période adolescente, entendue ici probablement socialement parlant.
Un point de vue psychanalytique pourrait y voir plusieurs fourvoiements. D'une part, cela induit que le recours aux ressources psychiques liée à la période de l'adolescence est une erreur à corriger. Or, n'utiliser exclusivement qu'une façon d'être au monde, quelle qu'elle soit, peut être considéré pour le coup comme pathologique. La capacité de jouer tout en répondant aux nouvelles exigences de l'âge adulte, est un signe de souplesse psychique et donc de relativement bonne santé. Supposer que l'âge adulte puisse se suffire à lui-même, qu'il pourrait fonctionner de manière indépendante et sans l'apport créatif de l'enfance est absurde, tant le sujet est le résultat de tout ce qu'il a vécu dans sa vie. Par exemple, lorsqu'on regardait un dessin animé à 10 ans, nous n'étions capable de l'appréhender qu'avec une maturité d'enfants, en résonance avec notre infantile. Aujourd'hui nous sommes toujours capables de regarder cette série comme des enfants et des bébés, mais nous sommes aussi capable de le faire avec une maturité d'adulte. Les deux cohabitent et dialoguent en nous pour toutes les choses de la vie.
C'est la fixation rigide à une organisation psychique qui peut être envisagée comme problématique. Par exemple, nous pourrions nous inquiéter d'une personne qui n'arrive pas à sortir d'un état d'esprit familial alors qu'elle se trouve à son travail, mais aussi inversement d'une personne qui resterait toujours dans un état d'esprit travail alors qu'elle se trouve dans un milieu familial. Cela n'est pas mal en soit, mais ça peut signaler une certaine souffrance intérieure qui ne peut être contenue que par cette rigidité. L'immaturité, comme la maturité sont ainsi toujours localisées. Une même personne peut être tout à fait mature dans un certain type d'activité, mais tout à fait immature dans d'autres.
D'autre part, sur quoi ce concept d'adulescent s'appuie-t-il ? La critique de ces experts en savoir vivre suppose l'idée que certains loisirs et certaines occupations peuvent être considérées en tant que telle comme inadaptées à l'âge de la personne. Cette conception des choses est proche de l'idéologie qui soutient la psychologie cognitive ou comportementale, mais elle s'avère anti-psychanalytique. En effet, une activité en tant que telle ne peut pas être considérée mature ou immature. C'est l'approche de l'activité qui peut l'être. Par exemple, il est possible de faire de la couture pour un cosplay ou pour réparer un vêtement toute deux de manière mature ou immature, cela dépendra de la manière dont le sujet investit cette activité.
Nous ne devons pas douter que dans le « milieu geek » français certaines personnes éprouvent des difficultés particulières à satisfaire les nouvelles exigences du monde adulte. A cela nous répondrons deux choses : d'une part, l'immaturité est généralement circonstanciée à certains domaines de la vie, mais jamais à tous. D'autre part, ce genre de difficultés se retrouvent absolument partout dans la société en général. Récemment, les milieux financiers et politiques nous ont brillamment démontré leur absence de maturité en refusant toute responsabilité pour les crises mondiales qu'ils ont déclenchées. A-t-on vu les journalistes de France 2 ou de M6, voire de n'importe quel média de masse, les qualifier « d'adulescents » pour autant ? L'enfermement intellectuel et l'étroitesse d'esprit avec lesquels les médias de la « culture geek » devraient-ils nous porter à les qualifier « d'adulescents » ? On comprend bien que si ce genre de comportement est considéré comme un comportement adulte, il y a de quoi ne pas prendre aux sérieux ces experts de la critique.
Pour faire simple, être adulte revient à être suffisamment responsable fasse à ses diverses obligations et à avoir suffisamment intégré les différentes parties de soi pour s'adapter à différentes situations. Force est de constater que cela n'est jamais totalement atteignable, et de là il n'y a qu'un pas à franchir pour dire que la concentrations des accusations indifférenciées d'immaturité contre les personnes organisant leur vie ou leurs loisirs autour de la « culture geek », les supposés « adulescents » servent à créer un bouc-émissaire facile. Nous constatons que cela permet de détourner l'attention des vrais immatures à qui ont a donné les manettes. Malheureusement pour nous, ces dernières ne sont pas là pour manipuler un monde virtuel, mais le notre bien réel. D'autre part, il n'y a pas de corrélation directe entre l'âge social et l'âge psychique. On peut être socialement à une place tout en étant psychiquement globalement sur un fonctionnement différent. Enfin, garons en tête qu'entre une régression qui exprime une certaine souffrance et une régression « normale », la différence se situe dans l'approche du divertissement et non dans le contenu de ce dernier.